Nous étions le 12 mai, la session de printemps de la Triennale de Setouchi 2019 entrait dans sa deuxième moitié, les choses étaient bien moins frénétiques que dans la première et Golden Week. Il était temps d’aller sur Megijima.
Je mentirais si je disais que Megijima est l’une de mes îles préférées de la région. Mais mon désamour pour elle n’a presque rien à voir avec la Triennale, même si par le passé, l’art que l’on pouvait y trouver était loin d’être mon préféré. Toutefois, les choses ont changé en 2016, les nouvelles oeuvres étaient des plus intéressantes pour la plupart et j’étais curieux de savoir comment les choses avaient évolué pour 2019.
Pourquoi ne pas le découvrir ensemble ?
Aussitôt sortis du ferry, nous nous sommes rendus à l’œuvre d’art située un peu à l’écart des autres. J’en avais déjà eu un aperçu quelques semaines auparavant, alors qu’elle était en construction, sur le site d’une autre œuvre de 2016, la troisième « maison d’Oni » de Chaos Lounge (vous pouvez la voir ici en 2016). Ça a son importance parce que l’artiste Kouryou a travaillé avec le collectif, voire en a fait partie, et on voit de suite une certaine affiliation dès qu’on arrive à Ebune – Drifters (Bateau-Maison – Vagabonds).
Une petite note à propos du nom de l’artiste. Elle le romanise donc Kouryou, mais le « ou » ne doit pas être lu à la française. Il s’agit d’une des façons de romaniser le « o long » en japonais, pas la plus judicieuse à mon avis, mais celle préférée des Japonais pour des raisons évidentes si vous connaissez un peu le japonais, mais sur lesquelles je ne vais pas m’étendre si vous ne le savez pas (c’est pas très très important là tout de suite). Bref, si ça s’écrit Kouryou, ça se prononce plutôt Kôryô.
Voici donc un peu à quoi l’œuvre ressemble :
Je suis sûr que ce bateau-maison inspirera bien des choses différentes à bien des personnes, mais je pense que peu y resteront indifférents. Personnellement, même si je ne trouve pas l’endroit exactement « plaisant », je l’aime beaucoup. Il m’est difficile de ne pas imaginer une histoire recréant les origines du lieu quand je le visite. Cette maison a forcément été occupée par des humains à un moment donné, mais après s’être échouée sur Megijima, elle a été occupée par des Oni (avant ou après le départ des humains, nul ne le sait, et donc le sort de ces derniers reste en suspend). Les Oni auront ensuite adapté la maison à leur convenance avant de l’abandonner à leur tour. C’est mon interprétation, vous en aurez probablement une différente.
Quoiqu’il en soit, et même si cette œuvre n’est pas pour tout le monde, il est impossible de ne pas reconnaître la quantité de travail pour la créer ainsi que l’attention pour le détail qui est impressionnante.
Lors d’une visite de Megijima à l’automne dernier, je m’inquiétais du devenir d’Equipoise de Harumi Yukutake, l’une des œuvres présentes sur l’île depuis 2010, mais qui n’était pas listée pour 2019. Me rendant à son emplacement, j’avais retrouvé l’œuvre en parfait état, mais par contre, celui de la maison l’hébergeant était bien plus inquiétant (c’est d’ailleurs par l’un des nombreux trous dans les murs que j’ai pu voir l’œuvre à l’intérieur).
Comme je le craignais, c’est à ça que le lieu ressemblait en mai dernier :
Évitons tout malentendu, je ne parle pas ici du bâtiment couleur rouille sur la gauche, mais bien du bâtiment qui n’existe plus au milieu de la photo.
Pour faire mon deuil d’Equipoise, pas de meilleur lieu qu’un autre des vétéran de 2010, je veux parler de Megi House :
Ne me demandez pas pour ce gros cône rouge, je n’en sais rien. Ce n’est pas un vrai cône, mais une installation, mais pour le pourquoi du comment, mystère ? Ou alors, il fallait tirer la ficelle verte et voir ce qu’il y a dessous ? Aucune idée, mais j’en doute.
Non, vraiment c’est bizarre ce cône (sans parler du fait qu’il gâche un peu le lieu).
Pour mémoire, Megi House est avant tout une salle de concert gérée par Aichi Prefectural University Arts and Music, mais comme au printemps, il n’y avait pas vraiment de concerts, il y avait une exposition temporaire assez d’intéressante de toute une série d’animaux en papier mâché (je crois) :
Notez que cet été, ils étaient partis (mais il y avait des concerts), reviendront-ils pour l’automne ? Seront-ils remplacés par autre chose ? Aucune idée.
Nous continuons avec les vétérans de 2010 et 20th Century Recall de Hagetaka Funjo :
Mes enfants se le sont approprié quelques minutes pour y jouer de la musique. Notez que si les photos semblent indiquer le contraire, non, mes enfants n’ont pas fait partir le petit garçon qui était là avant eux, du moins pas volontairement. Ils ont sagement attendu leur tour. Ils sont peut-être assimilable à des fauves parfois, mais ils ne sont pas des rustres.
Notez aussi que l’on ne peut pas vraiment jouer de la musique dessus, ils faisaient semblant. Toutefois, pendant la Triennale, on peut entendre de la musique en sortant.
Je ne vais pas vous mentir, Sea Gulls Parking Lot de Takahito Kimura ne m’a jamais fait ni chaud ni froid.
Par contre, cette nouvelle sculpture sur la plage est des plus plaisantes, de quoi s’agit-il ?
Réponse : il s’agit de la moitié d’une nouvelle installation par Eros Nakazato dont je vous parlerai plus en détails dans quelques paragraphes.
Mais avant, rendons-nous dans une maison qui, en 2016, avait été occupée par Masashi Hirao, maître-bonsaï de son état, ainsi que Setouchi Cogeiz, une entreprise de designers de Takamatsu. Eh bien, ils sont revenus cette année pour une continuation du même projet, cette fois-ci renommé Bonsai – Deepening Roots.
Je suis vraiment content qu’ils soient de retour. Il y a trois ans, j’avais espéré que le lieu reste ouvert de manière permanente. Ce ne fut pas le cas, mais le rouvrir cette année est bien entendu la deuxième meilleure option.
Le concept n’a pas changé : une maison rénovée et devenue un lieu d’exposition de bonsaïs, tous réalisés par Masashi Hirao, probablement l’un des jeunes maîtres bonsaïs les plus prometteurs du pays (il n’a pas encore 40 ans). Comme il y a trois ans, les bonsaïs changent d’une saison à l’autre (un peu moins qu’il y a trois ans toutefois).
Je me rends compte que j’ai surtout pris des photos du jardin (il devait y avoir un peu de monde à l’intérieur et trop de gens dans le cadre). Vous verrez donc l’intérieur plus en détails une prochaine fois.
Ensuite, nous sommes allés revoir Presence of the Absence de Leandro Erlich, mais je ne vous montrerai jamais de photos de cette œuvre (deux œuvres en fait). Tout d’abord parce que les photos y sont interdites, mais surtout parce qu’elles le sont à raison. Tout l’intérêt de l’œuvre est basé sur l’effet de surprise (donc si vous savez de quoi il s’agit ne le racontez pas non plus à votre entourage si celui-ci à l’intention de se rendre sur place un jour).
Cette année, Iara, le restaurant partageant l’espace avec Presence of the Absence est occupé par Eat & Art Taro et sa Setouchi Gastronomy. J’y ai enfin goûté la semaine dernière et je vous conseille chaudement (il faut réserver par contre). Plus de détails plus tard.
Presque à côté, on retrouve Island Theatre Megi de Yoichiro Yoda, un vrai cinéma inspiré de ceux qui occupaient la 42e rue de New York à l’époque de l’Âge d’Or de Hollywood.
Et juste à côté Mecon de Shinro Ohtake :
Le lieu m’a semblé un peu moins fourni en plantes qu’à son habitude. Pas trop sûr si c’était vraiment le cas ou non, mais je pense que l’un des arbres s’est fait couper quelques branches.
Et entre Mecon et la plage se trouvait notre nouvelle destination et le principal nouveau projet que l’on peut trouver sur Megijima cette année. Il s’agit de Little Shops on the Island qui regroupe huit projets différents sous le même toit (littéralement), la plupart étant de vrais magasins.
« Qu’y trouve-t-on ? » je vous entends déjà me demander.
Débutons par Ping-Pong Sea par Rintaro Hara et Yu Hara (je les suspecte être mari et femme) puisqu’il occupe une bonne partie du rez-de-chaussée, ou du moins son atrium. Il s’agit d’une série de tables de ping-pong que l’on peut utiliser (les raquettes et balles sont à louer, 100 yens chacune). Mais bien entendu, il s’agit de tables très particulières (certaines bougent, d’autres sont musicales), tout particulièrement la pièce centrale qui est une table où sept personnes peuvent jouer en même temps !
Une œuvre qui n’est pas sans rappeler No One Wins – Multibasket sur Teshima et qui a le même potentiel de mettre un grand sourire sur votre visage quand vous l’utilisez.
Ensuite, vous trouverez un… Salon for soothing your soul par Eros Nakazato. Notez que le « un » c’est pas le « un » français, mais un son plus proche de « oum » qui peut rappeler certains sons liés à certaines méditations, d’ailleurs si vous êtes réfractaires à l’anglais, le titre signifie « lieu pour apaiser votre âme ».
De quoi s’agit-il ? Essentiellement d’une chaise très très spéciale.
Celle-ci :
On peut aussi l’utiliser : asseyez-vous, tournez la manivelle et voyez ce qu’il se passe.
Une chaise que j’imagine plaire aux fans de steampunk, mais pas seulement eux.
Dans la pièce d’à côté une installation dont l’élément principal est un film :
Il s’agit de How beautiful the world could be (Le monde pourrait être si beau) de Mai Yamashita & Naoto Kobayashi.
Au début, ça n’a pas l’air de grand-chose. Une personne faisant du vélo en bord de mer (je vous laisse deviner où) avec un texte s’affichant sur les roues du vélo quand elles tournent (vélo exposé dans la pièce, on peut en trouver de similaires à côté du centre d’accueil et d’information de la Triennale à Takamatsu, on peut les louer). Mais rapidement, on se rend compte de la façon dont a été tourné le film, et on se rend compte que c’est plus compliqué que ça en avait l’air au premier abord.
Puis il y a ce titre qui est un peu la clé de la chose. Il s’agit d’une citation de Viktor E. Frankl tirée de son livre Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie. Dans ce livre, l’auteur parle son expérience en camp de concentration pendant la guerre (entre autres choses) et le contexte de la citation est celui-ci : alors qu’ils sont enfermés dans un camp de la mort, des prisonniers regardent un magnifique coucher de soleil et l’un d’entre eux prononce cette phrase.
Quel rapport avec le reste de l’œuvre : à vous de voir. J’ai une interprétation personnelle de la chose, mais je préfère ne pas vous influencer.
La pièce comporte aussi des livres d’occasion à vendre (tous en japonais malheureusement, même les œuvres complètes d’André Gide dont la couverture est en français, mais pas l’intérieur). Je n’ai pas bien saisi s’il y avait une sorte d’unité éditoriale dans ces livres.
J’aime beaucoup toutes les œuvres que je connais de Leandro Erlich. Mais cette Laundry (lessive)… Qu’est-ce qui a bien pu lui passer par la tête exactement ?
D’un côté, de vraies machines à laver que l’on peut utiliser. De l’autre, de fausses machines avec des écrans montrant des vidéos de lessives en train d’être faites. Et c’est tout. Bien sûr, il y a un concept derrière : regarder la lessive se faire nous donne une réflexion sur le temps qui passe, ou quelque chose du genre. Oui, toute personne ayant passé quelques minutes dans un Lavomatic en a bien conscience… Non, sérieusement, Leandro… Sérieusement ?
Je ne me suis pas vraiment arrêté à Shooting Gallery de Jin Hasegawa. La raison est très simple et très pragmatique : il y avait des takoyaki et d’autres choses pas gratuites, et mes enfants auraient voulu tout essayer, et l’argent ça pousse pas sur les arbres. 🙂 Donc une fois qu’ils ont eu terminé de jouer au ping-pong, nous avons discrètement attiré leur attention vers d’autres choses.
La dernière « boutique » dans cette partie du bâtiment est Wedding Shop, de Leong Ka Tai and the Red Thread. Je ne suis pas trop sûr d’avoir trop tout compris. Au rez-de-chaussée des tables et autres éléments faisant penser à une boutique de Hong Kong (j’imagine). Et une pancarte qui dit :
Une jeune femme, que je présuppose venir de Hong Kong était là, mais je n’ai pas parlé avec elle. Je présuppose qu’ils « marient » les gens… à la chinoise… J’en sais pas trop plus. Une œuvre à revisiter donc.
Le reste de l’œuvre, au premier étage, était plus facile à comprendre. Il s’agit d’une exposition de photos de Leong Ka Tai (qui est photographe à la base). Une série de portraits de couples d’Ogijima et de Megijima avec quelques notes biographiques. Une belle et touchante série, avec quelques surprises. J’ai aussi pris en photos quelques textes explicatifs et biographies, malheureusement je n’ai pas le temps de les traduire. Si vous ne maîtrisez pas l’anglais, je vous prie de bien vouloir m’excuser.
Première surprise : mes amis Junko Fukui-Nukaga et Yamato Fukui (respectivement directrice de la bibliothèque d’Ogijima et leader de la communauté d’Ogijima). Ils sont aussi parmi les moteurs principaux du succès de la revitalisation d’Ogijima :
Une autre surprise (à moitié seulement, je savais que Miki-san avait travaillé sur le projet), mes amis Miki et Kazumasa Hashimoto. (Kazumasa est à la fois pêcheur et artiste, membre d’Onba Factory et de Team Ogi) :
Il y en avait bien plus. Vraiment passionnant à mes yeux d’apprendre ce pan de la vie quotidienne (passée ou présente) des habitants des îles.
Sur le devant du bâtiment des « petits magasins » on en trouve deux autres, un peu à part des précédents.
Tout d’abord, Hair Salon Kotobuki d’Aiko Miyanaga. Il s’agit d’un vrai salon de coiffure. On ne peut pas le visiter si l’on n’y va pas s’y faire couper les cheveux. Je ne comprends pas bien de quoi il en retourne, sinon se faire couper les cheveux avec vue sur la Mer Intérieure de Seto (ce qui n’est déjà pas si mal).
À côté, le Café de la Plage (en français dans le texte) par Véronique Joumard.
Ça ressemble à un vrai café parce que c’est un vrai café :
On y trouve aussi des grandes œuvres de la littérature française (traduites en japonais et anglais) :
Mais qu’a-t-il de particulier ce café alors ? Mes enfants vont vous montrer :
Non, ils n’ont pas les mains sales (même si c’est parfois la croix et la bannière pour arriver à les leur faire laver). Les murs et tables du café sont peints avec une peinture spéciale, sensible à la lumière et ou à la chaleur et qui change de couleur selon.
Nous nous apprêtions à partir quand soudain… Les Hashimoto passèrent devant le café !
Nous dire « bonjour, ça va bien » n’était pas suffisant, il me fallait faire autre chose avec eux.
Et voila :
Prochaine étape : imprimer cette photo et les prendre en photo devant, et ainsi de suite…
Il fut ensuite l’heure de rentrer à la maison.
Une journée et un Triennale Passport bien remplis :
Voila, c’est tout pour aujourd’hui.
Comme à chaque fois, si vous avez raté des épisodes, vous pouvez retrouver tous mes articles sur la Triennale de Setouchi 2019 ci-dessous :
- Première partie : Shodoshima
- Deuxième partie : Ogijima
- Troisième partie : Shodoshima
- Quatrième partie : Shamijima
- Cinquième partie : Jour des Enfants sur Ogijima
- Sixième partie : Ogijima
à suivre…
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