Jeudi dernier, direction Shodoshima où je n’avais pas mis les pieds depuis bien trop longtemps pour voir ce que la Triennale de Setouchi 2016 y avait à nous proposer. Cette année, sachez que ce sont pas moins d’une quarantaine d’œuvres qui sont hébergées sur l’île, et il va être assez difficile de toutes les voir, certaines ne feront leurs débuts qu’à l’été, voire à l’automne et même si la majorité est rassemblée dans trois à quatre parties de l’île, certaines sont très isolées et loin de tout. Plusieurs visites sont donc prévues au cours de l’année. La première était jeudi dernier, nous avons pris le ferry pour le port de Kusakabe pour voir ce que la partie orientale de l’île avait de nouveau à nous offrir (ainsi que revoir certains favoris).
Dès l’arrivée au port deux œuvres nous attendent (une troisième arrivera plus tard).
Je ne sais toujours pas que penser de la première. Il s’agit de Komame-tei de Satoshi Murakami. Au début, ça s’annonce intriguant, voire intéressant : une petite maisonnette qui ressemble à un dessin inscrit dans la réalité (encore plus si j’avais pris la photo exactement de face, j’essaierai la prochaine fois) :
À l’intérieur, un jeune homme, Satoshi Murakami, qui vraisemblablement loge dans ce petit cabanon et qui prépare un nabé (pot au feu japonais).
Il nous invite à l’intérieur, nous offre un verre de thé, nous montre le mur derrière lui et nous indique qu’il avait reçu trop de légumes et pas assez de viandes ou poissons. Ensuite, il retourne à son nabé, nous ignorant plus ou moins.
Le mur en question avec le détail de ses repas depuis le 20 mars (il est donc là depuis le début de la Triennale, et y restera jusqu’à la fin de la session de printemps, si j’ai bien compris) ainsi que quelques autres annotations.
Tout cela me laisse un peu dubitatif pendant qu’il mange une feuille de chou avec du miso.
Dehors, sur la gauche, une maisonnette encore plus petite, faite essentiellement de polystyrène et de carton, à laquelle je n’avais pas trop prêté attention au début, sinon parce que ma fille et le reste de la famille l’a squattée quelques secondes :
J’y avais attaché si peu d’importance que je ne l’avais pas prise en photo pour ce blog, juste cette photo « personnelle » mais qui atterrit ici parce que c’est la seule que j’ai de la maisonnette.
Au passage, un petit aparté : vous l’avez peut-être déjà remarqué, mais ma famille – surtout ma fille – s’invite sur ce blog pendant la Triennale de Setouchi. Pas exactement une décision de ma part, juste le fait qu’elle a souvent tendance à se retrouver devant le champ de la caméra (ma fille ne marche presque jamais, elle court) et que je n’ai pas toujours le temps ou l’opportunité d’attendre qu’elle s’en soit éloignée (surtout que je ne tiens pas à ce qu’elle s’éloigne trop loin, elle n’est pas encore trop en âge de faire attention aux voitures et autres trucs dangereux qui arrivent sans crier gare).
Revenons en à Satoshi Murakami. Un peu intrigué par l’expérience, j’ai voulu en savoir plus à son propos, mais même si j’ai été un peu plus éclairé sur son « art » je reste tout autant dubitatif à son sujet. En gros, il a été très marqué par la destruction causée par le tsunami de 2011 (il devait être tout jeune, à peine sorti du lycée), a réduit ses possessions au strict minimum, s’est construit sa propre maison portable (la toute petite juste au dessus, pas la cabane dans laquelle je l’ai trouvé) et il parcourt les routes du Japon pour faire réfléchir les gens sur leur matérialisme et leur hospitalité (il s’invite souvent devant les maisons des gens à qui il demande de pouvoir poser sa maison dans leurs jardins pour la nuit en gros).
Mouais…
Je sais pas vous, mais ça me fait réfléchir à quelques trucs, ouais :
- Si c’est vrai que les Japonais sont parfois un peu trop matérialiste, je ne vois pas comment se transformer en SDF va les faire réfléchir sur la chose.
- Quant à l’hospitalité… Mmmm… Je ne sais pas. Peut-être pourrait-il montrer l’exemple ? S’il nous a, certes, invités à l’intérieur, il était ensuite un très mauvais hôte. On avait surtout l’impression de gêner et il n’avait clairement pas envie de discuter avec nous. De plus, il avait l’air de se plaindre de ce que les gens du village lui avait donné à manger. Je ne sais pas vous, mais moi, l’ingratitude ne m’a jamais invité à la réflexion.
- Quant au côté devenir volontairement SDF et appeler ça de l’art, je trouve ça assez insultant pour les vrais SDF. Surtout que je doute qu’il soit SDF « à temps plein », après tout il est exposé dans les galeries de Tokyo et ailleurs (et invité à la Triennale de Setouchi). Mais qui sait ?
Bref, il est tout à fait possible que je me sois totalement mépris sur certains points de sa démarche, mais là, il ne m’a guère invité à aucune autre réflexion que de penser qu’il n’est qu’un petit fumiste. Mais je lui laisse le bénéfice du doute, peut-être que quelque chose s’est perdu dans la traduction.
L’œuvre suivante, située dans le bâtiment juste à côté est Haragei de l’artiste indien Sarnath Banerjee. Apparemment, il est artiste de bande dessinée (et c’est effectivement l’impression que ses dessins me faisaient), et même si je n’ai pas détesté, je dois avouer que ça ne m’a pas trop parlé non plus. En voici un aperçu :
Pour notre prochaine étape, nous prenons le bus pour le quartier d’Umaki où nous attendent d’étranges Revenants de Sahej Rahal. Dans un hangr désaffecté, de grands objets (des restes trouvés dans le hangar ?) recouverts de boue séchée. Nous sommes clairement ici dans le domaine de l’abstrait. Le bénévole de Koebi s’occupant de l’accueil a précisé que l’artiste refusait d’expliquer quoique ce soit au sujet de l’œuvre. Personnellement, j’ai bien aimé.
En route pour l’œuvre suivante, une drôle de trouvaille sur la route :
Je suspecte les restes du repas d’un aigle (nombreux dans le coin).
Notre étape suivante, What are we? de Sosa Joseph. Une série de tableaux qui malheureusement ne m’ont pas du tout parlé – au point que je réalise que je n’ai même pas pris de photos. Je pense aussi que le fait qu’ils étaient situées là où se trouvait l’une de mes œuvres préférées il y a trois ans a joué en sa défaveur. Dommage, surtout que Sosa Joseph est sur place, et semblait bien sympa, mais malheureusement, je me voyais mal lui dire que je n’appréciais pas son art plus que ça.
Juste derrière, à mi-chemin entre le bâtiment de l’œuvre précédente et le sanctuaire en haut de la colline, se trouvait quelque chose de bien plus intéressant, Kaguya’s Pause par les étudiants de Kyoto University of Arts and Design, sous la direction de Nagisa Kidosaki. Une maison de thé, très singulière. Voyez plutôt :
J’avoue, j’aimerais bien participer à une cérémonie du thé dedans.
Ensuite, direction Umaki Camp de dot architects.
Comment vous parler de Umaki Camp?
Bon, déjà, il ne s’agit pas d’une œuvre d’art à proprement parler. Mais n’oublions pas que s’il est surtout question d’art à la Triennale de Setouchi, il est aussi question d’architecture, de nourriture ainsi que de diverses initiatives originales et parfois difficiles à classer. Umaki Camp c’est les trois à la fois.
Au départ, il y a un bâtiment très intéressant, très ouvert, où l’intérieur et l’extérieur se mélangent. Mais l’important c’est ce à quoi il sert.
Il s’agit en fait d’un lieu communautaire, ouvert à tous, visiteurs et locaux et où il y a à la disposition de tous : une cuisine, un lieu de repos, un jardin potager, un cinéma en extérieur, un four à bois, un studio de radio, un ordinateur, et j’en oublie. Tout (ou presque ?) peut-être utilisé par n’importe qui pendant les heures d’ouverture, même s’il n’y a pas de bénévole présent. La première fois que j’y suis allé, il y a trois ans, des habitantes de l’île préparaient de la nourriture qu’elles servaient aux visiteurs (il y avait aussi une chèvre qui n’était malheureusement pas là la semaine dernière), il y avait un film sur le village et une expo photo dans un bâtiment adjacent. La semaine dernière, personne quand nous sommes arrivés, mais c’est là que nous avons déjeuné. Des oranges avaient été laissées à la disposition de tous. Nous aurions pu faire la cuisine si nous en avions eu besoin (mais nous avions des onigiri et des sandwiches). Peu avant notre départ, des adolescents de l’île s’étaient donnés rendez-vous et attendaient notre départ pour investir les lieux (par timidité, ils auraient très bien pu se joindre à nous) et déjeuner ensemble à leur tour.
Bref, on peut y faire ce que l’on veut. Un lieu pour tous et par tous dont le but est bien sûr de rendre service, mais aussi de générer des rencontres.
Un lieu un peu utopique, mais bien réel. On se prend à rêver de tels lieux un peu partout dans le monde, mais si malheureusement, je ne les vois pas possible dans la plupart des autres pays. Mais au Japon, si. Car bien sûr, hors de question d’emporter quoique ce soit sinon la nourriture mise à disposition par qui le souhaite, et il faut bien sûr faire la vaisselle et nettoyer les ustensiles de cuisine après usage, ne pas laisser d’ordures, etc.
Quoiqu’il en soit, ce lieu représente pour moi une espèce d’idéal et un des symboles les plus forts de la Triennale, même si je n’en entends presque jamais parler par les journalistes et blogueurs qui traitent de la Triennale.
Après un petit passage à Hut with the Arc Wall (de Yo Shimada) pour un changement de couches… tiens, je m’étonne de ne vous avoir jamais parlé de ces chouettes toilettes publiques… et de ne pas avoir pris de photos… J’en ai quelques vieilles qui traînent dans mon ordinateur, je vous les montrerai un jour… Je disais donc : après tout cela, direction le village de Sakate, un peu plus au sud.
À la sortie du bus, nous sommes accueillis par ce vieux bâtiment recouvert de photos limites flippantes :
J’apprends qu’il s’agit de Fish Farm House par Yumiko Utsu (oui bon, c’est marqué dessus) et qu’il s’agit en fait d’une des artistes en résidence à Sakate dans le cadre du projet Creator in Residence [ei]. Au cours de notre balade dans le village, nous avons croisé d’autres projets et œuvres des artistes en résidence du moment. Gardez l’œil ouvert quand vous vous y baladerez.
Depuis trois ans, l’artiste qui est devenu incontournable dans Sakate c’est Kenji Yanobe. À commencer par cette peinture murale très impressionnante dans le port :
Et bien entendu son Star Anger qui accueille les gens à la sortie du ferry:
Je crois aussi savoir qu’un de ses personnages se trouve dans le ferry qui accoste à Sakate (c’est le ferry Kobe – Shodoshima – Takamatsu).
Personnages qui sont omniprésents dans le port :
Et bien entendu, il est aussi responsable, en collaboration avec Beat Takeshi Kitano pour l’une de mes œuvres préférées : Anger from the Bottom!
Si comme moi vous ne l’aviez pas vu depuis trois ans, vous remarquerez qu’il a un petit peu changé. Il est maintenant visible en permanence, et ne s’enfonce plus dans son puits dont il ne sort qu’une fois par heure. La contrepartie c’est qu’il ne bouge plus et ne vomit plus d’eau. C’est le prix à payer pour qu’il soit devenu une œuvre permanente. J’ai toutefois cru comprendre qu’il lui arrivait encore de bouger un peu. Je ne sais pas trop dans quelles circonstances. De plus, vous aurez remarqué qu’il est maintenant protégé des intempéries par un toit, et qu’il est devenu une sorte de sanctuaire (après tout il s’agit d’une sorte de divinité). Notez d’ailleurs que c’est dot architects qui a fait ce toit.
On y trouve aussi une empreinte laissée par Kenji Yanobe (à gauche) et Beat Takeshi (à droite) :
Et c’est ainsi que l’on découvre que Kitano a vraiment de petites mains.
Mes premières fleurs de cerisiers de l’année.
Le Jardin Mémorial de Sakae Tsuboi, tout simple, mais touchant, comme elle en fait.
Il fut ensuite temps de retourner au port de Kusakabe, de manger une glace au Shodoshima Gelato Recipes Project, une « succursale » du Island Lab (qui lui ne rouvrira ses portes qu’à l’automne). Oui, il y a donc un magasin de glaces qui fait partie de la Triennale de Setouchi ! Sa particularité ? Certaines glaces sont saisonnières et faites avec des produits locaux. Elles étaient très bonnes mais un peu chères.
Sur le chemin du retour, j’ai eu un aperçu de Boy and Monster de Toshimitsu Ito à la pointe sud de la péninsule de Mito. Nous la (re)visiterons plus tard, certainement cet été :
À suivre…
En savoir plus sur Ogijima
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Merci David. Quelle intéressante promenade! Je vais aller finir un travail rébarbatif avec toutes tes images en tête et ce sera magique
Amicalement
eOle
De rien. 🙂
Bravo ! Ce premier épisode commence fort et j’ai hâte de voir la suite !
Toutefois je suis un peu perdu quand aux lieux. Combien d’ile sont concernées ? Combien de ferries faut-il prendre ? Et combien de bus ? Combien de jours faut-il pour tout voir ? Y a-t-il un parcours préférentiel ou peut-on tout voir dans l’ordre qui nous arrange ?
Attention, tu as du louper des posts. Ceci n’est pas le premier épisode, mais le troisième (sans compter l’épisode zéro 😉 ).
Ouhla, beaucoup de questions, mais la plupart des réponses sont là :
http://www.ogijima.fr/triennale-de-setouchi-2016-informations-pratiques/
Sinon, pour répondre plus précisément:
– La Triennale se déroule sur 12 îles, plus deux ports (mais une des îles seulement au printemps, quatre autres, seulement à l’automne).
– Combien de ferries ? Tout dépend de là où on va. 🙂
– Combien de bus ? Là aussi, tout dépend de là où on va, du temps dont on dispose, etc.
– Combien de jours pour tout voir ? Je dirais une dizaine de jours (sans compter les quatre îles de l’automne).
– Pas de parcours et pas d’ordre, on voit tout dans l’ordre que l’on veut.
une visite « riche ». la maison « utopique » ne m’a pas trop attirée de l’extérieur, mais dedans, toute cette lumière! merci pour cette balade, j’ai bien aimé.
Attention, Umaki Camp n’est pas une maison, mais bien un lieu communautaire.