Je suis toujours un peu réticent à aller sur Naoshima pendant la Triennale de Setouchi. Trop nombreux sont les gens qui réduisent la Triennale à cette île uniquement ; combien de fois ai-je lu des blogs ou autres de gens attendant que ce soit la Triennale pour aller sur Naoshima et ne se rendant uniquement que sur Naoshima ? Difficile de faire plus contre-productif. Et c’est en fait une partie de mon problème : pendant la Triennale de Setouchi, il y a tout simplement trop de monde sur Naoshima à mon goût. En fait, la seule raison pour laquelle je veux bien m’y rendre est financière. Il est bien moins cher de visiter Naoshima avec un Art Passport de la Triennale.
Mais en fait, ce printemps-ci c’était un peu spécial. Bon, déjà, je dois bien l’avouer qu’à quelques exceptions près, l’art de Naoshima est peut-être celui que je trouve le moins intéressant de la région. Pour vous donner une idée, je ne suis pas retourné au Benesse House Museum depuis 2010, peut-être y retournerai-je à l’automne, peut-être pas. Et il se trouve que j’étais allé sur l’île en octobre dernier, et j’y avais (re)vu la plupart des œuvres qui m’intéressent. Donc pas d’envie folle de faire la queue et ensuite du coude à coude avec les trop nombreux visiteurs pendant la Triennale.
Ensuite, il faut bien avouer que les installations et musées de Benesse Art Site sont très peu « kid-friendly » et je n’ose imaginer une seule seconde ma fille décidant de n’en faire qu’à sa tête au milieu d’un musée.
Mais comme c’était le printemps, les cerisiers étaient en fleur, on s’est dit que pourquoi ne pas y aller y passer la journée, mais pour visiter l’île d’une façon un peu particulière, c’est-à-dire en ne visitant pratiquement que les œuvres en extérieur (il y en a pas mal).
À peine sortis du ferry, direction le bus nous emmenant directement au Chichu Art Museum (bus directs mis en place pour la Triennale) et de là, nous commençons notre mini-périple autour de l’île et nous dirigeons vers une nouvelle œuvre, Sense in the Distance par Chiyoko Todaka.
Pas totalement une nouvelle œuvre puisqu’il s’agit d’un remake de Teshima Sense en 2010, que je n’avais pas eu l’occasion de voir. Donc je me réjouissais d’enfin voir l’œuvre que j’avais ratée il y a si longtemps et dont les photos m’avaient toujours fait penser qu’elle devait être très intéressante.
Pourtant première déception :
Il y a six ans, sur Teshima, les photos montraient le réservoir d’eau recouvert de plusieurs dizaines de ces structures et cela donnait vraiment une atmosphère assez intrigante au lieu. Là ? Une dizaine tout au plus, dans un réservoir plus grand que celui de Teshima. J’ai du mal à saisir l’intérêt de la chose.
Mais qu’importe, juste après nous attendait la nouvelle œuvre de Tadao Ando, Labyrinth of Cherry Blossoms ! Un véritable labyrinthe fait de cerisiers ? Et qui plus est par Tadao Ando ? Un futur lieu incontournable de l’île.
Non.
Une autre déception en fait :
Les cerisiers avaient été plantés très récemment, trop récemment, et ils sont encore loin d’être de taille à créer un labyrinthe de fleurs. Bon, ça c’est pas trop grave, ce sera réparé dans quelques années. Mais le reste ? Nullement un labyrinthe, juste des rangées d’arbres. J’ai du mal à saisir le but, surtout qu’il me semblait que celui-ci était de créer un lieu pour qu’habitants de l’île et visiteurs puissent profiter d’un superbe hanami ensemble. Euh, oui, sauf qu’au sol, c’est du gros gravier, impossible de s’y asseoir, même avec une grosse couverture. Donc apparemment, le hanami n’y est autorisé que dans son sens le plus strict : on regarde les fleurs et puis c’est tout.
Dommage.
Vraiment pas encore prêts ces cerisiers :
Heureusement qu’il y en avait quelques vieux ici ou là pour rattraper le coup :
Bon, tout n’est pas négatif, puisqu’en nous rendant dans cette partie de l’île où je n’étais encore jamais allé, j’ai enfin trouvé une œuvre que je voyais souvent sur le web mais qui m’échappait.
Il s’agit de Another Rebirth par Kimiyo Mishima :
Notez que le contenu de la poubelle est bien choisi :
Un article de USA Today à propos de la XFL…
Ouais, c’est bien dans une corbeille à papier que ça à sa place…
Ah oui, pour vous donner une idée de la taille :
Ensuite, direction la plage sud de l’île. Pour ce faire, nous passons devant le Lee Ufan Museum que nous ne visitons pas, mais par contre, je voudrais attirer votre attention sur une œuvre qui échappe à bien des visiteurs, ce qui est très dommage car il s’agit peut-être de la seule œuvre de Naoshima qui s’inscrit dans l’histoire locale et l’identité de l’île.
Il s’agit de Slag Buddha 88- Eighty-eight Buddha statues created using slag from industrial waste at Teshima par Tsuyoshi Ozawa. Un titre à rallonge qui explique bien ce dont il est question :
Si vous êtes réfractaires à l’anglais, il s’agit donc de 88 petites statuettes de Bouddha, faisant donc référence aux 88 temples du Pèlerinage de Shikoku, ainsi que d’autres pèlerinages locaux (sur Shodoshima, Shiraishijima, je crois même que Naoshima en a sa propre version, il y en a certainement d’autres). Toutefois ces statues sont faites dans un matériau très particulier, puisqu’il s’agit de résidus du traitement de la terre polluée de Teshima.
Pour rappel, dans les années 80, une entreprise (dont je n’arrive jamais à trouver le nom, mais je crois qu’elle a disparu suite au scandale) a commencé à utiliser la pointe ouest de Teshima comme décharge industrielle, de manière totalement illégale. La décharge était censée accueillir uniquement des résidus provenant de la fabrication du papier, mais en réalité il s’agissait de divers déchets industriels très polluants. Les effets sur l’environnement et la santé des gens n’ont pas tardé à se faire sentir, et la vérité fut bientôt découverte. Mais les choses étaient loin d’être réglées. Malgré les appels de la population locale, le gouvernement préfectoral continuait à faire la sourde oreille, en partie pour cause de corruption, en partie parce que qui se soucie de péquenauds dans leur île qui refusent de la laisser mourir ? Après plusieurs années pendant lesquelles la population de Teshima fit tout ce qu’elle put pour que le reste du monde (ou du moins du Japon, voire de Kagawa) commence à s’intéresser à son sort, un procès put enfin être intenté contre l’entreprise en question mais aussi contre le gouvernement de Kagawa, et ce n’est qu’en l’an 2000 que la chose fut enfin résolue avec une victoire totale de la population de Teshima. La Préfecture de Kagawa s’engagea entre autres choses à complètement nettoyer le site, et pour cela ce sont plus de 500 000 tonnes de terre et de roches qui durent être déplacées. Et c’est sur Naoshima que l’usine de traitement et de nettoyage de la pollution fut construite.
Ce qui nous emmène à notre œuvre qui sert à honorer la longue tradition historique de la région mais aussi à rappeler une histoire bien plus récente, bien moins plaisante et que les touristes ignorent. Sans parler de la nature même de Naoshima. Île musée, certes, mais aussi île industrielle. Fait complètement ignoré (dans les deux sens du terme) par les visiteurs habituels de Naoshima.
J’essaierai de vous raconter tout cela de manière plus détaillée un jour.
En attendant, reprenons notre visite.
Sur le chemin entre le Lee Ufan Museum et le Benesse House Museum, des cerisiers en fleur.
Et bien entendu, la route nous offre aussi une superbe vue de la Mer Intérieure de Seto, en particulier d’Ozuchishima, qui comme ma fille tient à vous le rappeler, est de forme triangulaire :
Ensuite, nous sommes arrivés dans le parc et la plage de Benesse House et sommes allés voir quelques œuvres d’art là aussi. Le choix des œuvres dépend ici entièrement des envies d’allées et venues de ma fille dans le parc et sur la plage. 🙂
Three Squares Vertical Diagonal de George Rickey,
une œuvre qui se découvre en vidéo (très courte) si on ne peut la voir sur place :
[iframe width= »640″ height= »360″ src= »https://www.youtube.com/embed/Wbv1DwD69Kk?rel=0″ frameborder= »0″ allowfullscreen]
Time Exposed par Hiroshi Sugimoto
Seen/Unseen Known/Unknown par Walter de Maria
Drink a Cup of Tea par Kazuo Katase
Blind Blue Landscape par Teresita Fernandez
Alors que j’étais dans la boutique de souvenirs pour acheter un cadeau d’anniversaire à mon père, je me suis souvenu que ça faisait longtemps que je n’avais pas lu Naoshima Note. Il s’agit d’un périodique, exclusivement consacré aux Benesse Art Sites et auquel j’étais abonné en 2010 et 2011. Toutefois depuis 2012, il n’y a plus d’abonnement, on ne peut l’acheter que sur place et pas partout (mais il est aussi maintenant disponible gratuitement en ligne). Mais voila, même si mon medium favori d’écriture est internet, je dois avouer que quand il s’agit de lire quelque chose d’un peu conséquent, je reste old school et préfère le papier (quoique je devrais quand même utiliser ma tablette un peu plus quand même). Je demande à la vendeuse si elle a le dernier numéro. Elle ne l’a pas. Mais au lieu de s’arrêter là et de me dire au revoir, elle me dit d’attendre et elle commence à passer non pas un, mais plusieurs coups de fils au diverses boutiques affiliées à Benesse Art Site. Je suis très surpris, elle doit l’être aussi, ça doit pas être tous les jours qu’un étranger lui pose une telle question. Malheureusement, il ne semble plus y en avoir nulle part. Elle me rappelle l’existence de la version en ligne, et je quitte bientôt le magasin assez surpris de sa gentillesse (si les bénévoles de la Triennale sont toujours adorables, ce n’est pas toujours le cas du staff de Benesse Art Site).
Le Banc par Niki de Saint-Phalle
Alors que je m’éloignais du parc de la Benesse House, je réalise soudain que quelqu’un derrière moi appelle, moitié en anglais, moitié en japonais… et que c’est moi qu’elle appelle… Il s’agissait de la vendeuse du magasin, elle me courrait après et avait dû passer un certain temps à me chercher (je n’étais pas bien loin, mais pas à côté du magasin non plus). Elle tenait trois anciens numéros de Naoshima Note dans sa main. Elle m’en faisait cadeau !
Ça, c’est le Japon que je connais et que j’aime…
Je l’ai bien entendu remerciée profusément, je ne m’y attendais pas une seule seconde.
Prochaine étape, probablement l’œuvre la plus connue de la région :
Yellow Pumpkin de Yayoi Kusama
Après un petit en-cas au Café de Tsutsuji-so, nous quittâmes la plage de Benesse pour nous rendre au village de Honmura. Nous n’avons pas visité le Art House Project et nous nous sommes directement rendus à la raison principale pour laquelle nous étions venus à Naoshima ce jour-là :
Il s’agit du le nouveau bâtiment de Hiroshi Sambuichi, le Naoshima Hall.
Pour rappel, Hiroshi Sambuichi est un architecte basé à Hiroshima qui est aussi responsable du Seirensho Art Museum d’Inujima. Pour concevoir ses bâtiments Sambuichi utilise toujours les conditions naturelles locales, essentiellement l’air et le soleil, pour que la lumière et la ventilation soit toujours les plus naturelles possibles.
Pour créer le Naoshima Hall, il a observé les conditions climatiques du lieu pendant plus de deux ans (en fait, il y a trois ans, il y avait déjà une exposition sur Sambuichi avec les premiers plans pour ce hall).
Le résultat est génial, spectaculaire et superbe, comme à chaque fois. Je sais que Tadao Ando est la star de Naoshima, mais pour moi, le vrai architecte génial de l’île c’est Hiroshi Sambuichi.
Le Naoshima Hall est en fait constitué de deux bâtiments. Commençons par celui du fond (sur la photo de gauche), que vous voyez ici au premier plan sur la photo de droite.
Il s’agit d’un espace très intéressant, ni à l’extérieur, ni à l’intérieur. Ou plutôt, une fois à l’intérieur, on est encore plus ou moins à l’extérieur, puisque l’on se retrouve sur une espèce de petite place avec un puits au milieu entouré de plusieurs pièces/bâtiments destinés à divers usages :
Démonstration du puits central par ma fille, et… euh… quelqu’un…
Au plafond, un trou éclairant l’espace.
Nous nous dirigeons ensuite vers le Hall à proprement parler :
À l’intérieur, un immense espace, entièrement éclairé en lumière naturelle et ventilé naturellement aussi grâce à d’ingénieuses canalisations faisant circuler l’air partout dans le bâtiment.
Juste à côté, le Naoshima Plan. Une exposition montrant plusieurs futurs projets de Sambuichi sur l’île.
Je ne sais pas s’il a l’intention de transformer toutes les maisons représentées, mais si c’est le cas, c’est pas moi qui vais me plaindre.
Pendant la Triennale de Setouchi, notez aussi que dans le village de Honmura, il y a une exposition simplement appelée Naoshima Architectures qui est une rétrospective de la création des principaux bâtiments de l’île avec plans et maquettes originales, photos de constructions et autres. Fascinant pour qui s’intéresse à l’architecture.
Il fut bientôt temps de retourner à Miyanoura, mais comme il nous restait encore pas mal de temps avant l’heure du ferry, nous fîmes quelques balades dans le port, en commençant par aller à Miyanoura Gallery 6 pour aller voir 100 Living Tales de Yuki Iiyama, une expo « écrite » où sont retranscrites des histoires plus ou moins surnaturelles racontées par les habitants de plusieurs îles de la région (essentiellement Naoshima et Teshima). Une expo très originale et intéressante, et j’avoue que je suis bien content que le medium écrit et narratif soit enfin représenté, ne serait-ce qu’un peu, à la Triennale. Par contre, si vous venez sur Naoshima à l’été ou à l’automne, ce seront d’autres expositions qui seront à votre disposition dans la galerie.
Naoshima Bath « I♥︎湯 » de Shinro Ohtake
Red Pumpkin de Yayoi Kusama
Notez, qu’elle n’est plus entourée d’herbe, mais d’un revêtement synthétique de nature inconnue – je ne me suis pas posé la question – le gazon autour d’elle aura été victime du succès de la citrouille.
Bunrakku Puppet de José de Guimarães
Pas trop séduit par cette nouvelle œuvre, mais apparemment, elle est nettement plus belle la nuit (les lignes de couleurs dans les trous sont des tubes néon).
Une drôle d’embarcation. Je n’ai pas le souvenir d’en avoir déjà vu de semblables. Je présuppose qu’elles servent à ramasser les algues dans les champs d’algues, mais je n’en jurerai pas.
Naoshima Pavilion de Sou Fujimoto
Beaucoup plus intéressant vu de l’intérieur, surtout en fin d’après-midi, que de l’extérieur.
À bientôt Naoshima (peut-être cet automne)…
En savoir plus sur Ogijima
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
HAHA je vois que toi aussi tu as été frappé par l’esprit coquin de l’île qui exacerbe les déceptions (même si tu n’en ai pas à surnommer Naoshima « l’ile de la loose). Merci pour cet article qui me donne un aperçu de ce que j’ai raté. Le Naoshima Plan a l’air très intéressant.
Je profite du commentaire pour m’extasier encore une fois sur le travail de Hiroshi Sugimoto dont j’avais adoré l’expo au Palais de Tokyo : .