Je mentionne souvent Kōbō-Daishi, mais je n’ai jamais vraiment parlé de lui en détails. Vu qu’il est question que je vous narre la cérémonie à laquelle j’ai assisté à Zentsū-ji pour son anniversaire, peut-être est-ce le bon moment pour vous parler un peu de sa biographie.
Je ne vais pas vous raconter les détails, je ne ferais que paraphraser d’autres textes bien plus complets, dont celui de Wikipedia.
En voici toutefois les grandes lignes :
Il s’appelait Kūkai de son vivant, il est né en l’an 774 (le 15e jour du 6e mois) dans la ville qui est aujourd’hui connue sous le nom de Zentsūji, à l’endroit exact où fut plus tard construit le Mieidō, l’un des bâtiments principaux du temple actuel (en tout cas selon la légende).
Il est issu d’une famille riche et importante de la province de Sanuki et l’adolescence venue, il est parti étudier à Nara qui était alors la capitale du Japon. C’est là qu’il s’est passionné de plus en plus pour le bouddhisme – récemment importé de Chine – au point de devenir moine, puis de partir en Chine avec un convoi diplomatique en l’an 804.
Nous parlons ici de la Chine de la Dynastie Tang, en d’autres termes, le pays le plus riche, le plus influent et le plus cultivé du monde à l’époque. Durant cette période, le Japon organisa plusieurs expéditions diplomatiques vers la Chine, missions durant plusieurs décennies et ayant pour but – en plus d’établir des relations diplomatiques – d’apprendre le plus de choses possibles du pays, son rayonnement culturel étant alors inégalé.
Kūkai resta deux ans en Chine (au lieu des 20 ans prévus) au cours desquels il se fit connaitre de nombreux personnages importants dont l’Empereur lui-même ainsi que plusieurs maîtres bouddhistes.
À son retour au pays, il réside plusieurs années sur Kyūshū où il fonde le Shingon avec l’accord de l’Empereur Kammu, puis il crée le monastère de Kōyasan et reçoit de l’Empereur le temple Tōji.
En plus de ses activités religieuses, Kūkai eut une grande influence dans les domaines sociaux (aide aux pauvres, construction d’écoles) et culturelles. On peut dire que c’est grâce à l’influence et aux enseignements de Kūkai que le Japon a commencé à considérer sa propre culture comme digne d’intérêt et à ne plus se tourner systématiquement vers celle de la Chine.
On lui attribue d’ailleurs l’invention des Kana (ce qui est plus que probable, il s’est d’ailleurs d’abord fait connaitre comme calligraphe d’exception, à la fois au Japon et en Chine) ainsi que de nombreux miracles un peu partout au Japon (là je vous laisse décider par vous-même de la véracité de la chose).
Il s’éteint au Kōyasan en 835 à l’âge de 62 ans, ou alors selon la légende, il n’est pas mort, il est entré en méditation éternelle.
Il fut rebaptisé Kōbō-Daishi de manière posthume.
Et le Pèlerinage de Shikoku dans tout ça ?
La légende dit que le pèlerinage reprend la route que Kūkai a suivie sur Shikoku pour fonder les 88 temples, mais ce n’est très certainement qu’une légende.
Je vous parlerai plus en détails de son historique un autre jour, mais sachez toutefois que ce pèlerinage a beaucoup évolué au cours des siècles (comment pourrai-il en être autrement ?)
Après cette mini-biographie, je me dois donc de vous conter ce qui s’est déroulé dans le Mieidō du temple de Zentsū-ji en ce 14 juin 2011, car l’on y célébrait (ainsi que le lendemain) le 1237e anniversaire de Kōbō-Daishi.
Au passage, on notera que même si le 15e jour du 6e mois de l’an 774 n’était très probablement pas le 15 juin, c’est bien le 15 juin qui est considéré comme étant sa date de naissance par les moines du temple (ainsi que les moines des autres temples).
Tout d’abord, je dois avouer que j’ai été surpris par le faible nombre de gens présents ce jour-là, je m’attendais à une foule, il n’y avait en fait qu’une trentaine de personnes environ (peut-être y avait-il plus de monde le lendemain ?)
Peu avant le début de la cérémonie, les personnes présentes dans le Mieidō à ce moment-là furent invitées à s’installer à l’intérieur, devant la petite estrade au centre de la pièce où les moines allaient bientôt arriver et s’installer.
Il serait vain d’essayer de vous raconter la cérémonie dans les détails, mes connaissances du bouddhisme n’étant que trop parcellaires pour cela.
Sachez juste que la cérémonie dura un peu plus de 90 minutes durant lesquelles les moines chantèrent de nombreuses sûtras et autres incantations, se levant et s’asseyant, faisant parfois sonner des cloches, et jetant en l’air de fausses pétales de lotus préalablement bénies. Autour d’eux de jeunes moines leur servaient d’assistants, leur donnant et puis récupérant les divers ustensiles nécessaires au fur et à mesure de la cérémonie. Au centre, l’un d’entre eux (le chef du temple ?) resta assis totalement immobile pendant toute la cérémonie. Comment a-t-il encore des genoux ? Je ne sais pas.
Malheureusement, il était interdit de prendre des photos. Seul l’un des moinillons put le faire : il était le photographe officiel de la chose, malheureusement, je doute qu’il ait un blog, et je n’ai rien trouvé sur le site officiel du temple. Un autre personne a pris quelques photos. Il s’agissait d’un homme qui était assis près de moi. Il était peut-être le seul bouddhiste vraiment pratiquant de toute l’assemblée de visiteurs, mais il fut aussi le seul à prendre quelques photos en douce.
Je lui en veux énormément (oui c’est de la jalousie), non seulement parce que la valeur informative de la chose était énorme, mais aussi parce que certains moines – je pense à deux en particulier – avaient des tronches géniales. L’un des deux avait une lèvre supérieure très avancée et de très gros sourcils noirs, ce qui lui donnait une tête des plus étranges, un véritable personnage de bande dessinée. L’autre, au visage me faisant penser à un Occidental (peut-être l’était-il, très difficile à dire, je pense que non, mais le doute persiste) dont l’expression naviguait quelque part entre la bonhomie et la grosse gueule de bois. Là aussi le doute persiste. En tout cas pas besoin de chercher bien loin pour savoir où les sculpteurs des statues de moines dont il est fait mention dans mon article précédent ont trouvé leur inspiration.
Je n’ai pas de photos de la cérémonie, mais j’ai quand même quelques documents pour vous.
À commencer par cette photo du centre du Mieidō issue du dépliant du temple.
Vous pouvez voir les petits tabourets où étaient installés les moines et l’emplacement central – avec le coussin rouge – où était installé le « moine en chef ».
J’ai aussi trouvé quelques photos d’une cérémonie similaire (mais beaucoup moins classe, il faut bien l’avouer) s’étant déroulée le lendemain à Manpukuji dans la préfecture de Tokushima (il s’agit – si j’ai bien compris – d’un tout petit temple Shingon, même pas un des 88 temples). Ceci pourra toutefois vous aider à vous faire une idée de ce à quoi j’ai assisté.
À noter que vers la fin, l’assemblée (nous donc) fut invitée à se rendre, deux par deux, dans l’arrière-salle du Mieidō, arrière-salle que l’on devine dans la photo au-dessus et qui est visible par le public seulement deux fois par an si j’ai bien compris.
Les moines se sont alors tous levés et chantèrent le Sûtra du Cœur (Hannya Shingyo) tout en marchant autour du centre jusqu’à ce que chacun des participants ait pu s’agenouiller au fond de la pièce, porté des cendres (et une espèce d’encens non brûlé) près de son front, et puis ait rejoint sa place de spectateur non sans avoir reçu en cadeau quelques pétales de lotus bénis auparavant.
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Ai-je compris ce qu’il se passait ? Non, bien sûr que non. Mais peu importe, j’étais là, agenouillé au fond de l’un des endroits les plus sacrés du bouddhisme Shingon, et même si la portée religieuse de la chose m’échappait, j’en saisissais toute la portée humaine. Portée encore accentuée par la force – certains diront « mystique » – des chants et des incantations m’entourant.
Les pétales de lotus nous ayant été offertes :
Bientôt la cérémonie prit fin, les moines repartirent comme ils étaient venus (c’est-à-dire en file indienne vers l’avant du Mieidō puis hors du bâtiment vers une destination inconnue, certainement leurs quartiers).
Pas encore remis de cette expérience unique (je m’en veux de ne pouvoir la retranscrire ici comme je le souhaiterais), nous nous apprêtâmes à quitter nous aussi la pièce quand nous fûmes informés qu’en remerciement de notre participation, ils avaient préparé quelques menus cadeaux pour nous.
Je n’en revenais pas. C’était à moi de leur faire un cadeau pour m’avoir ainsi permis non seulement d’assister, mais aussi de participer à cette cérémonie et permis de vivre cette expérience aussi incroyable. Pas à eux.
De quoi s’agissait-il au juste ?
N’oublions pas que nous parlons du Japon, le cadeau en question était donc de la nourriture. Mais pas juste trois trucs à grignoter, non.
Voyez plutôt :
Bref, deux fois que je visite Zentsū-ji, deux fois que j’y vis une expérience inoubliable.
J’espère que vous aussi, vous aurez une chance similaire quand vous vous y rendrez.
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Je n’arrive même pas à imaginer la force d’une telle expérience. Ca doit être magique ^_^. Merci pour ce bel article, très complet. C’est vraiment super de nous faire partager ainsi ton expérience privilégiée. Merci merci 🙂
De rien, content qu’il te plaise (je n’étais pas certain qu’il soit « lisible » vu que je ne peux vraiment décrire les détails de la cérémonie de façon appropriée).
Par contre, je l’ai écrit tard, il faudra que je me relise, je suis sûr que des fautes grossières se sont glissées ici ou là.
Waow super ton report, David ! Assez magiques les cérémonies Shingon à Zentsuji je dois dire, nous on avait fait le petit tour SOUS l’autel par un souterrain qui pousse dans le noir total les pèlerins jusqu’à une petite chambre ou se tient une statue de Kukai, assez l’hallu comme expérience…
Merci.
Ouais, le petit tour magique dans le noir, je l’avais fait l’an dernier pour ma première visite de Zentsuji. J’avais envie de le refaire PENDANT la cérémonie cette fois-ci, mais en fait j’ai pas trop osé (pas déranger tout ça), et de toutes façons j’étais hypnotisé par ce que j’avais devant le nez.
Dis, je me demandais, les deux moines aux têtes pas possible, ça te dit rien, vu que tu as passé un peu de temps avec eux ?