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Train d’Enfer (17e jour – 4 juin 2010 – troisième partie)

 

(ou comment ce jour-là, j’ai perdu certaines de mes illusions sur les Japonais)

(ou comment ce jour-là, j’ai compris que les adolescents sont les mêmes partout dans le monde et qu’ils ne sont bons qu’à mériter des baffes)

Nous avons donc pris notre Shinkansen Hikari à direction de Tokyo à 14h29 précises, car ce n’est pas une légende, les trains japonais sont plus précis que les montres suisses. Sur le quai, il y a même un préposé à l’horloge qui sort de sa cabine quelques minutes avant l’arrivée du train, note l’heure exacte à laquelle celui-ci arrive et fait de même au moment du départ, non sans avoir auparavant fait signe à son collègue, l’équivalent de notre chef de gare (comment dit-on pour les grandes gares ? chef de quai ?) qu’il est l’heure de partir. Tous les voyageurs ayant intérêt à être soit montés soit descendus avant ce moment fatidique que rien ne retardera.

Paradoxalement, alors que le train s’arrête moins longtemps que dans nos contrées (pas plus de trois minutes), les montées et descentes se font sans la cohue que l’on voit quotidiennement dans nos trains. Mais je n’ai pas à vous rappeler que les Japonais sont un peuple civilisé, contrairement à mes compatriotes.

 

 

Mais ce que j’ai appris ce jour-là, c’est que le Japonais ne naît pas civilisé, il le devient à un âge que je n’ai pas encore déterminé, en tout cas c’est après 15 ans. Quoique ce soit peut-être plus complexe que cela, car j’ai vu un certain nombre de jeunes enfants être très civilisés eux aussi.

Mes doutes et notre mésaventure débutèrent quand une grosse cinquantaine de collégiens montèrent dans le même wagon que nous, rentrant chez eux de leur voyage scolaire à Kyōto, comme très probablement les deux tiers des collèges du Japon au vu du nombre de collégiens dans les rues de la ville au cours des jours passés et de leur nombre tout aussi impressionnant dans la gare ce jour-là, en rangs d’oignons, sur le départ ; surtout quand on sait qu’au Japon, il y a de moins en moins de gosses.

Quand ils s’installèrent dans le wagon, je les trouvais bien bruyants, mais après tout, l’excitation des jours passés et du voyage justifiait cela. C’est quand, une vingtaine de minutes plus tard, là où des collégiens français auraient commencé à s’assoupir, lire, écouter leur lecteur mp3 ou je ne sais quoi d’autre, leurs équivalents japonais n’avaient pas baissé leur volume sonore d’un seul décibel que je commençai à me dire qu’il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond et que les trois heures et demi suivantes risquaient d’être problématiques.

Le contrôleur, pas tombé de la dernière pluie et devant certainement supporter ce calvaire assez régulièrement, vint parler, individuellement, à la pauvre vingtaine de malheureux voyageurs prisonniers de ce wagon. Si nous le souhaitions, il restait des places dans un autre wagon. Ouais !!! C’est le wagon fumeur… Moment d’hésitation… Alors ? Charybde ou Scylla ? Éternel optimiste, je tablais sur le fait qu’il y avait des chances qu’ils se calment bientôt, ou qu’ils descendent du train au prochain arrêt.

Erreur grave. Ils ne se calmèrent, ni ne descendirent.

Plus j’observais la situation, plus je me disais que quelque chose clochait. C’était les profs ! Que faisaient les profs ?

Pourtant, ils étaient bien là eux aussi, pourquoi ne les faisaient-ils pas taire ?!

Mystère aussi incompréhensible qu’insoluble…

N’étant pas du genre à attendre « que quelqu’un fasse quelque chose » il fallait que je prenne les choses en main. Mais comment ? Parler aux profs bien sûr ! Entre confrères, on se comprendrait. Oui, bon, encore fallait-il que l’on se comprenne au sens premier du terme. J’ai toujours dit (et expérimenté) que c’est dans le besoin que les compétences linguistiques se mettent en action. Là aussi : oui, bon, encore fallait-il que je les possède un minimum ces compétences linguistiques ; je n’ai pas pu dépasser « moi aussi je suis prof » (et au moment où je tape ces lignes, j’ai même oublié comment on dit « aussi »). Bref, impossibilité d’aborder ces « confrères » sans l’aide de 康代 qui me la refusa car elle savait très bien qu’à ce stade, si j’arrivais à m’adresser aux profs et qu’ils ne faisaient pas taire leurs élèves en conséquence, l’étape suivante serait très probablement que je passerais un collégien par la fenêtre toutes les 30 secondes jusqu’à obtenir le silence complet dans le wagon.

J’aurais pu aussi espérer qu’au moins l’un d’entre eux parle anglais, mais je ne sais pas, du fait de ma position d’étranger et de ce genre de choses, j’ai toujours cette drôle de phobie d’être jugé et que cela retombe sur tous les étrangers ou quelque chose du genre ; ou plus simplement, en pays connu je connais les limites de ce que je peux faire et de ce que je ne peux pas faire, au Japon, ce n’est toujours pas le cas.

C’est le contrôleur qui vint à mon aide en demandant finalement le silence (au bout d’environ deux heures de voyage). Et effectivement, pendant trois minutes, il n’y eut pas de silence – faut pas non plus rêver – mais ils parlèrent un peu moins fort… Avant de reprendre de plus belle sous le regard complice des profs. Car là, je ne vois pas d’autre explication : les profs étaient forcément complices.

Pour vous donner une idée de l’absence totale et absolue d’autorité de ces profs, imaginez que j’ai vu un gamin de 13 ans METTRE SES PIEDS (déchaussés, j’en conviens) DANS LE VISAGE D’UN PROF !!!! Et le prof de ne rien lui dire… RIEN !!!! Voire de rigoler avec lui…

C’est dans ces moments-là que l’on comprend ce qui a pu inspirer des œuvres telles que Battle Royale au Japon, et qu’à la réflexion, instaurer un tel programme ne serait pas forcément une mauvaise idée. Sauf qu’il ne faudrait pas déterminer au hasard la classe « élue » mais selon toute une série de critères servant à trouver la la plus insupportable du pays.

Les gosses de ce train auraient eu toutes leurs chances…

À bout d’options et d’idées sur que faire, je me résolus alors à prier le Kami des Shinkansen pour qu’il me vienne en aide. Dois-je maintenant me convertir au Shintoïsme ? Non, les collégiens ne se turent alors, cela aurait été trop incroyable, mais ils descendirent bel et bien à l’arrêt suivant, quelques minutes plus tard, dans la ville d’Odawara !!!

Mais cette histoire ne pouvait bien sûr pas se terminer sans un dernier « incident ». Après la descente des collégiens, l’une des profs resta quelques secondes en arrière pour… s’excuser du bruit auprès des autres voyageurs du wagon !!!!

Oui, vous avez bien lu : elle s’est excusée du bruit et des désagréments causés alors que pas une seule fois, pas une, pendant les trois heures du voyage, elle n’a fait quoique ce soit allant dans la direction d’essayer de ne serait que de le faire un peu diminuer !!!

Alors soyez gentils, si vous passez à Odawara (parce que personnellement je doute y mettre les pieds un jour), donnez une baffe de ma part à un collégien (voire à une prof de collège)…
Elle ne sera pas perdue…

La dernière heure du voyage se déroula – enfin – sans histoire et bientôt nous arrivâmes à Tokyo…

 

 

 

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