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De la Reconstruction des Châteaux Japonais

 

Il y a quelques jours, KuyshuDan de Japanese Castle Explorer a posté un article que je trouve très intéressant à propos de la reconstruction des châteaux au Japon, sur le fait que cette reconstruction est parfois surprenante et pas toujours pour le mieux selon lui. Si vous lisez l’anglais je ne peux que vous conseiller de lire l’article en question.

Cet article m’a inspiré quelques réflexions sur le sujet que je vous livre ici.

En fait, je ne sais pas trop que penser de cette façon qu’ont les Japonais de reconstruire leurs châteaux.

Châteam d'Okayama
Le château d’Okayama, reconstruit en 1966.

Bien entendu, comme beaucoup de monde, j’ai été plus que surpris la première fois que je vis un château reconstruit (en l’occurrence, celui d’Osaka), et j’ai été plus ou moins déçu qu’il ne s’agisse pas de l’original.
Déjà, vu de l’extérieur, j’avais la drôle de sensation que quelque chose clochait, et quelle ne fut pas ma surprise de voir du béton, des ascenseurs et autres éléments du monde contemporain à l’intérieur.

Mais depuis, j’ai un peu réfléchi à la chose et cela ne me choque plus autant qu’auparavant.

Tout d’abord, j’avoue que je serai curieux de connaître les opinions des Japonais sur la chose (J’ai demandé ce qu’elle en pensait à 康代 : elle s’en fiche), parce que j’ai quand même pas mal l’impression que cette idée qu’il est sacrilège que de reconstruire un château, qui plus est avec des technologies et des matériaux contemporains, est quand même pas mal une pensée très occidentale à mes yeux.

Je m’explique.

J’ai besoin de me rafraichir un peu la mémoire (la fac, on dirait pas comme ça, mais ça commence à faire un petit bout de temps quand même), mais j’ai l’impression que ça date du 19e siècle en Europe avec le Romantisme, l’avènement des musées (c’est un drôle de truc, un musée, quand on y réfléchit deux secondes, vous ne trouvez pas ?), et de l’historiographie moderne.

« Ça » c’est cette passion des vieilles pierres, l’idée qu’il doit y avoir une certainement « authenticité » dans les vieux châteaux/églises/bâtiments pour qu’ils soient dignes d’intérêt.

Oui, mais où et comment définit-on cette authenticité ?

Après tout, la plupart – sinon tous – les châteaux de l’Époque d’Edo sont des reconstructions de châteaux plus anciens, du 12e siècle environ (mes connaissances de l’histoire du Japon pré-Edo sont encore très parcellaires, alors vous m’excuserez si ce n’est pas ce siècle-là exactement, toutefois c’est lui que j’utiliserai pour le restant de cet article par souci de clarté dans l’explication).
Et ces châteaux de l’Époque Edo ont été reconstruits avec la technologie du 17e siècle, pas du 12e.

Et donc en quoi est-ce différent de reconstruire, au 17e siècle, un château du 12e avec la technologie du 17e et reconstruire au 21/21e siècle, un château du 17e avec la technologie du 20/21e siècle ?

Je ne vois pas beaucoup de différence sinon dans le fait qu’il est vrai qu’au 17e siècle, les châteaux japonais étaient habités, pas aujourd’hui.
Toutefois, que ce soit au 17e siècle ou aujourd’hui, l’importance de ces châteaux réside plus dans des questions de prestige, attrait, fierté locale et ce genre de choses que dans une question d’habitat.

D’ailleurs, quand je me penche sur cette question, je ne peux m’empêcher de faire entrer les temples (et églises européennes) dans l’équation pour effectuer certaines comparaisons.

Les temples et les églises ont été construits avec l’idée qu’ils sont censés être éternels. Ils appartiennent au sacré, non au profane, et donc à la temporalité sacrée, avec tout ce qu’elle comporte d’intemporalité et d’éternité. Dans cette optique, il me semble logique qu’ils soient restaurés avec des matériaux et des techniques traditionnels, de sorte que leur apparence ne soit pas affectée par la restauration, que ce soit au sens littéral (en Europe) ou plus métaphorique (au Japon, les temples changeant bel et bien au fil des siècles, mais les méthodes de construction, elles ne changent que peu ou pas).

Par contre, dans le cas des châteaux, c’est très différent. Ils n’ont jamais été construits dans un but d’éternité, ni en Europe, ni au Japon. Ils ont été construits par un individu et/ou une famille dans le but de servir à cet individu et/ou cette famille.
Et une fois qu’ils devenaient inutiles pour une raison ou pour une autre, ils étaient soit démantelés, soit simplement abandonnés.
D’ailleurs, en Europe, les châteaux qui n’ont pas été abandonnés, aussi vieux soient-ils, n’ont cessé d’être modifiés avec les époques, il n’y a pas de souci de les préserver dans leur forme « originale ».

Bien évidemment, les matériaux utilisés dans ces constructions jouent aussi un grand rôle dans l’approche que l’on a de la longévité des bâtiments.

L’Europe utilise la pierre, donc les bâtiments ont tendance à durer très longtemps, même ceux dont ce n’est pas forcément le but. À l’opposé, au Japon, l’usage du bois, fait que les bâtiments ont – en général – une durée de vie bien plus limitée, d’où le besoin fréquent de reconstruction.

Et comme les techniques de construction évoluent avec le temps, il peut sembler logique que les techniques utilisées pour ces reconstructions évoluent avec.

Pourtant, les temples sont eux presque toujours reconstruits selon les techniques traditionnelles. Mais justement, comme énoncé plus haut, les temples sont atemporels et sacrés, les règles sont différentes pour eux.
Et puis les temples aussi changent aussi d’apparence avec le temps, mais comme cela se fait de manière plus lente, plus subtile, comme leur apparence continue à avoir l’air ancienne, ça surprend et choque moins.

Alors au final, comment devrait-on reconstruire les châteaux japonais pour qu’ils aient l’air « originaux » ? (même si je continue à penser que c’est une façon occidentale d’aborder le sujet)
Reconstruire avec des techniques traditionnelles ? Ok, mais de quelle époque ? Quel est le château original ? Celui du 17e siècle ? Non, celui du 12e. Sauf que nous n’avons que très peu de traces de ce à quoi ils ressemblaient.
Il semble que le consensus soit de reconstruire comme le château du 17e siècle ? Pourquoi ? Pourquoi pas comme au 19e siècle, avant que le château ne soit démantelé ? Surtout que l’on a des documents pour celui-là, on a parfois même des plans.

Alors pourquoi ne pas reconstruire une version contemporaine du château, avec des techniques contemporaines ?

Après tout, c’est ce qui a été fait dans le passé à chaque fois qu’un château a été reconstruit.

Voilà, je n’ai pas d’avis très tranché, ni de réponse toute faite sur le sujet. Juste quelques pensées…
Et vous ? Vous avez un avis ? Vous en pensez quoi ?

Heijō-jo à Nara
Palais Heijō à Nara. Vieux de 1300 ans… ou d’un an et demi, au choix.

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6 commentaires sur “De la Reconstruction des Châteaux Japonais”

  1. Huuum
    Sujet interessant dis donc.
    Pour ma part, je pencherai comme cela :
    Je trouve que garder une culture historique est importante. Evidemment, c’est stupide de tout garder comme à l’époque, on évolue avec le temps bien évidemment. Mais, quelques oeuvres (comme les chateaux) sont des vrais trésors. Des trésors historiques !
    Et donc sur cet argument, je trouve qu’on devrait les garder comme à l’époque avec nos moyens actuelles si c’est possible. Mais c’est vrai que la question est horrible en fait lol
    Plus j’y pense et plus je me creuse la tête à trouver une réponse fini. Et finalement je pense que la réponse est plus sournoise (gniark). Pourquoi ne pas faire les deux à la fois ? Garder des chateaux ou reconstruire des chateaux dans l’ancien style mais également construire des beaux chateaux tout neufs mais attention, dans les règles de l’art ! (Ben faut avouer que les constructions d’époques sont souvent vachement plus réussis que celle d’aujourd’hui)

    1. Bien évidemment, je ne suis on ne peut plus d’accord avec toi quant au fait que les châteaux soient des trésors historiques.
      Mais la question est « quel château préserver? » (pour l’Europe) et « quel château reconstruire? » (pour le Japon).
      Pour l’Europe, n’oublie pas que pratiquement aucun château ne fut construit en une fois, tous ou presque subirent des modifications, des ajouts, etc.
      Et la façon dont ils sont présentés au public suit plus souvent des règles touristiques qu’historiques Exemple le plus flagrant, même si pas médiéval: Versailles. Tu demandes à n’importe sur Terre – Français y compris – s’il n’y réfléchit pas – et s’il n’est pas historien – il te répondra que c’est le château de Louis XIV.
      Sauf que le château que l’on a aujourd’hui, c’est le château de Louis XVI (roi, beaucoup moins vendeur), et encore pas tout à fait, il n’a cessé d’évoluer tout au long des deux derniers siècles. Si la grande majorité du château ne se visite pas c’est qu’elle est constituée de bureaux tout ce qu’il y a de plus contemporain, et la partie que l’on visite est une recréation pour la plupart des pièces, Napoléon et Louis-Philippe ayant changé pas mal de choses.

      Pour en revenir aux châteaux japonais, oui les reconstructions ont lieu avec un but touristique en tête, et même si de nos jours, elles ne sont autorisées que si on a des preuves historiques de son apparence (donc peut-être fini les délires du 20e siècle en matière de reconstruction), mais là aussi le problème reste plus ou moins le même.
      Certes, il faut construire « dans les règles de l’art » des constructions « d’époque », mais justement « règle de l’art » et « époque » sont des mots qui n’ont pas de sens en soi, il faut pouvoir répondre aux questions suivantes: quelles règles? quel art? quelle époque? et donc forcément faire des choix subjectifs.

  2. Je découvre bien tard votre magnifique site par le biais de Shikoku Muchujin! Merci encore pour les encouragements!

    Au sujet de la reconstruction des châteaux japonais, beaucoup de touristes (à commencer par moi) sont en effet surpris lorsqu’ils apprennent que des bâtiments comme ceux du Himeji-jô ont été rénovés à plusieurs reprises. Mais il me semble que cela tient surtout à des composantes historiques. L’ouvrage « Nouvelle histoire du Japon » de l’historien Pierre-François Souyri est à ce titre une lecture intéressante. On se rend compte que les Japonais ont depuis longtemps l’habitude de détruire et de reconstruire ailleurs, que ce soit dans le cas des capitales pour des raisons rituelles et politiques, ou des temples pour lesquels il s’agit comme vous l’avez dit de préserver l’aspect formel tout en se soumettant à des rites de purification. L’idée de reconstruction est-elle ainsi devenue plus évidente dans la culture japonaise que dans nos contrées?

    J’essayerai d’élaborer davantage dès que j’en aurai le temps 😉

    1. Bonsoir et merci pour votre commentaire.

      Merci pour ces précisions. J’avais déjà évoqué la reconstruction des temples il y a un certain sur ce blog (enfin, je crois que c’était ici, je ne retrouve plus l’article) et effectivement je pense que la reconstruction est quelque chose de plus naturel au Japon (ne serait-ce que parce que le bois a historiquement été le matériau de base et donc il a une durée de vie plus faible).
      Mais il faudra que je jette un oeil à cet ouvrage. Merci pour la référence et à très bientôt sur votre blog ou ici.

      1. Une citation qui ne concerne pas les châteaux, mais rappelle l’origine des rites japonais de reconstruction:

        « The idea that everyone should have a house of his own is based on an ancient custom of the Japanese race, Shinto superstition ordaining that every dwelling should be evacuated on the death of its chief occupant. Perhaps there may have been some unrealized sanitary reason for this practice. Another early custom was that a newly built house should be provided for each couple that married. It is on account of such customs that we find the Imperial capitals so frequently removed from one site to another in ancient days. The rebuilding, every twenty years, of Ise Temple, the supreme shrine of the Sun-Goddess, is an example of one of these ancient rites which still obtain at the present day. The observance of these customs was only possible with some form of construction as that furnished by our system of wooden architecture, easily pulled down, easily built up. A more lasting style, employing brick and stone, would have rendered migrations impracticable, as indeed they became when the more stable and massive wooden construction of China was adopted by us after the Nara period. »

        Vu dans « The Book of Tea » de Kakuzô Okakura 🙂

        1. Merci pour cette citation.
          Maintenant que je la lis, je me souviens avoir lu des choses similaires il y a quelques années.
          Il faudra que je m’y repenche dessus plus en détails un de ces jours.

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